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La Zone de Cisaillement du Zanskar: un exemple d'extension syn-orogéniquedans l'Himalaya du Nord-Ouest (P.Dèzes)Sur plus de 2000 km. le long de la chaîne Himalayenne, le Cristallin du Haut Himalaya (HHC) est séparé de l'Himalaya Téthysien (TH) par un accident tectonique majeur: le système de détachement de l'Himalaya central (CHDS). Même si à grande échelle le contraste métamorphique entre le HHC et le TH peut paraître brutal, la transition entre ces deux ensembles se fait en réalité de manière progressive. Le HHC représente en effet l'équivalent métamorphique des sédiments de la base du TH et en aucun cas un vieux socle métamorphique sur lequel se seraient déposés les sédiments formant le TH (relation socle-couverture). Dans la région du Zanskar (Himalaya du Nord-Ouest), la Zone de Cisaillement du Zanskar (ZSZ) représente un segment du CHDS d'une longueur de 150 km. (Fig.1). C'est au sein de cette zone de cisaillement, d'une épaisseur de un kilomètre (Fig. 2 & Fig. 3), que l'on observe le passage extrêmement rapide mais néanmoins progressif entre les sédiments faiblement métamorphiques du TH et les roches hautement métamorphiques du HHC. Il n'y a donc pas à proprement parler de saut du métamorphisme entre ces deux ensembles. La zonation métamorphique qui caractérise la transition entre le TH et le HHC est marquée par l'apparition successive des minéraux index de la séquence pélitique (chlorite-> biotite-> grenat-> staurolite-> disthène) typique d'un métamorphisme Barrovien (métamorphisme orogénique). On voit donc que contrairement à la base de la nappe cristalline, où la zonation métamorphique Barrovienne est inversée, le haut du HHC, du moins au Zanskar, est caractérisé par une zonation métamorphique Barrovienne normale mais extrêmement condensée (Fig. 3, Fig. 4, Fig. 8). Ce métamorphisme Barrovien correspond au métamorphisme M1 pré-MCT d'âge Eocène-Oligocène (Fig. 5). et est lié à un épaississement crustal dû au charriage des nappes vers les sud-ouest (nappe de Nymaling-Tsarap de Steck et al 1993). On trouve également au sein de la ZSZ des critères de cisaillement à vergence SO ce qui semble indiquer que cette structure ait initialement joué le rôle de plan de chevauchement basal ductile durant la phase M1 de mise en place des nappes. Un deuxième épisode métamorphique M2 d' âge Oligocène- Miocène se superpose à M1 (Fig. 5). Ce métamorphisme M2 est particulièrement bien développé au sommet du HHC du SE Zanskar où une suite métamorphique (Disthène-> Sillimanite-> Cordierite-> Andalusite-> Margarite) nous indique qu'au sommet du HHC, l'épisode M2 correspond à un métamorphisme de décompression ~isothermal. Ce métamorphisme de décompression est lié a des structures d'extension à vergence nord-est qui montrent que la ZSZ a rejoué comme zone de cisaillement extensive durant cette période. (Fig. 9). Les données pétrographiques et structurales nous indiquent donc que la ZSZ et par extension le CHDS à joué dans une première phase comme structure de chevauchement associée à un métamorphisme prograde Barrovien puis dans une deuxième phase le sens de mouvement de cette structure c'est inversé en faille normal (extension) associé à un métamorphisme de décompression. Un modèle analogique (Fig. 10) qui pourrait partiellement expliquer ce phénomène à été développé par Chemenda et al. (1995). Ces auteurs ont simulé une collision continent-continent en ayant recours à des couches de composés d'hydrocarbone ayant des propriétés physiques comparables à celles de la lithosphère. On peut constater que l'image que l'on obtient par ce modèle semble remarquablement bien s'adapter à ce que l'on observe pour l'Himalaya. Un tel modèle
implique cependant les points suivants:
Pour calculer
le taux de cisaillement extensif accommodé par la ZSZ nous avons
fait recours à la géothermobarometrie (Fig.
11). Cette méthode permet dans un cas idéal de déterminer
la profondeur d'équilibration de roches au moment du pic du métamorphisme
prograde. Une série d'échantillons a été
sélectionnée au sein de chaque zone métamorphique
Barrovienne le long d'un profil à travers la ZSZ (points B-F
des figures 2
et Fig.
3).
On constate que les valeurs P-T des échantillons de chaque zone
métamorphique tombent dans leur champ de stabilité respectif
(Fig. 11). Ceci tend à
prouver que les valeurs obtenues correspondent bien au pic du métamorphisme
atteint par chacun de ces échantillons et qu'ils n'ont pas subi
de réequilibrations postérieures. Les pressions obtenues
nous permettent donc de déduire que les échantillons B2
(zone à Grenat) et D2 (zone à Kyanite) actuellement séparés
d'une distance horizontale de ~1km. étaient au moment du
pic du métamorphisme séparés par une distance verticale
de 12 km (Fig. 13). Un
modèle trigonométrique simple (Fig.
14) peut être invoqué pour expliquer comment des points
séparés par une distance verticale importante peuvent
se regrouper à peu de distance sur une ligne horizontale. Dans
ce modèle qui ne tient compte que de la composante en cisaillement
simple on constate qu'un cisaillement d'au moins 35 km est nécessaire
le long de la ZSZ pour ramener sur une même horizontale deux échantillons
initialement séparés d'une distance verticale de 12 km.
pour un angle de plongement actuel mesuré de 20°. Cette valeur
de 35 km. qui en elle même est déjà considérable
n'est cependant qu'une valeur minimale pour les raisons suivantes:
Si l'on prend un angle de
plongement de 12° et un rejet vertical de 30 km. (zone à
Biotite - zone à migmatites), on obtient un rejet maximal de
144 Km parallèle au cisaillement. On voit donc que nous
obtenons des valeurs de rejet dans le même ordre de grandeur que
celles prédites par le modèle de Chemenda.
De ces considérations découle aussi de manière fort logique que l'on trouve bel et bien en surface des roches attestant d'un enfouissement important comme le montrent les échantillons de la zone à migmatite avec leur 45 km. de profondeur d'équilibration enregistrés lors du pic du métamorphisme prograde. Pour répondre
à la troisième question que soulève le modèle
de Chemenda, nous avons eu recours aux datations radiomètriques.
L'âge et la durée des mouvements d'extension le long de
la ZSZ peuvent en effet être contraint par les intrusions de leucogranite
auxquelles cette structure est associée. Les observations de
terrain ainsi que pétrographiques nous montrent que c'est la
fusion partielle des roches de la zone à migmatites qui a engendré
les magmas leucogranitiques qui ont intrudé dans les séries
supérieures (fig.
3). D'après les données thermobaromètriques
nous constatons que les conditions PT atteintes dans la zone migmatitiques
lors du pic du métamorphisme Barrovien prograde étaient
amplement suffisantes pour provoquer la fusion sèche (fig.
11). Les relations structurales entre les filons qui intrudent la base de la ZSZ viennent confirmer cette hypothèse. En effet, alors que les dykes de leucogranite anté à syn extension qui intrudent la ZSZ sont fortement réorientés dans le sens de la déformation, quelques dykes tardifs traversent cette zone sans avoir subi de déformation. Ces derniers sont donc clairement postérieurs aux mouvements cisaillants d'extension. Plusieurs datations Ar/Ar ont été entreprises tant sur les dykes déformés que non déformés et on constate un âge systématiquement plus élevé des premiers par rapport aux deuxièmes, ce qui n'est pas vraiment une surprise mais est néanmoins rassurant. Plus intéressant est le fait que l'âge maximum des filons non déformés (fig. 16, sample Z7) nous donne l'âge minimum pour l'arrêt des mouvements d'extension le long de la ZSZ, qui est donc de 19,8 Ma. L'âge des mouvements d'extension de la ZSZ est donc contraint à une durée maximale de 2,4 Ma entre 22,2 Ma et 19,8 Ma. Puisque les mouvements chevauchant le long du MCT ont été datés aux alentours de 23 Ma (Frank et al., 1977; Hubbard and Harrison, 1989; Harrison et al., 1995; Hodges et al., 1996), la contemporanéité de ces deux structures semble ainsi bien établie. Les données que nous avons récoltées nous permettent également de calculer un taux de refroidissement de 155°C/Ma pour un échantillon de leucogranite dont nous avons daté à la fois les monazites et les muscovites. (Fig. 18). Un taux de refroidissement de 95°C/Ma a été obtenu grâce aux données Rb/Sr sur biotite et monazite de Ferrera et al. 1992 pour un échantillon de la même intrusion. Ceci nous permet de déduire la courbe de refroidissement du sommet du HHC au Zanskar pour des températures entre 710°C et 340°C. En conclusion
ce travail apporte un certain nombre de données nouvelles qui
semblent toutes consistante les unes par rapport aux autres, ainsi les
taux de refroidissement rapides du sommet du HHC s'accommodent bien
avec une décompression isothermale et des taux de cisaillement
élevés. Ces données devraient donc pouvoir permettre
de mieux contraindre les modèles analogiques ou digitaux qui
font rage ces dernières années. |